Les Rieds

Ces derniers marais de l’Alsace sont nés des caprices du Rhin et de ses affluents ; ils constituent un paysage caractéristique dans lequel vit un monde animal et végétal bien particulier et à protéger.

 

L’origine :

Entre Bâle et Lauterbourg, le profil du Rhin se subdivise en 3 parties : un secteur amont à forte pente (1‰) de Kembs à Marckolsheim un secteur moyen entre Marckolsheim et Strasbourg, un secteur inférieur en aval de Strasbourg (pente de 0,5‰).

Mais voyons rapidement l’histoire de la zone alluviale rhénane :

 

Le Rhin glaciaire en Alsace :

  1. Le secteur amont :
    C’est alors un gigantesque cône de déjection au niveau duquel, par suite d’une rupture de pente, le Rhin dépose en vrac les matériaux qu’il transportait. Ce cône est allongé de Bâle – Mulhouse à Brisach, il est bombé, le matériel mal trié. Contre ce cône viennent buter les cônes des rivières descendant des Vosges (exemple celui de la Thur). Le cours actuel des rivières vosgiennes sera influencé par cette structure, coincées entre le cône rhénan et les cônes « vosgiens » les rivières sont déviées parallèlement au Rhin. D’autre part leurs eaux peuvent s’étaler entre les cônes dans les zones déprimées, formant des petits Rieds vosgiens ; exemple le Ried de Rouffach.

  2. Le secteur moyen :
    Par suite de l’édification du cône de déjection la rupture de pente s’est trouvée déportée à la hauteur de Marckolsheim et entre ce niveau et Rhinau s’établit une zone de transition avec une pente de 0,85‰ qui raccorde le secteur amont à la fin du secteur moyen (jusqu’à la Bruche). C’est une zone d’alluvionnement intense mais le calibre des éléments déposés est plus petit et le matériel est trié ; le bombement diminue (c’est cette diminution qui permettra à l’Ill de confluer avec le Rhin au postglaciaire.)

  3. Le secteur inférieur :
    De « Strasbourg à Lauterbourg », la pente diminue et le débit reste le même, la charge a diminué, le Rhin glaciaire y aura une action érosive. Les diffluences sont moins nombreuses et tendent à se transformer en méandres. Les grands cônes de déjections sableux des rivières vosgiennes arrivent tout près du Rhin.

Evolution au postglaciaire :

  1. Dans le secteur amont :
    L’amenuisement de la charge inverse le processus et à l’exhaussement succède l’érosion : grâce à son débit et à la pente le Rhin entaille fortement son cône (15m au niveau Mulhouse, 5m au niveau Brisach). La nappe phréatique s’abaisse provoquant un dessèchement de certaines régions, en particulier de la Hart. Le cours de l’Ill coincé entre les cônes vosgiens et rhénan se surimpose dans la bordure occidentale du cône rhénan, mais comme ce cône se dessèche les eaux de l’Ill s’infiltrent dans les dépôts poreux , ainsi l’eau va circuler en profondeur et resurgira en aval dans le Ried.

  2. Le secteur moyen et aval :
    Dans le secteur Marckolsheim – Rhinau il y a équilibre entre l’alluvionnement et l’érosion. Plus en aval, l’activité devint plus érosive. Mais sur l’ensemble le réseau hydrographique se réorganisera : à la faveur d’une végétation riveraine dense le Rhin va édifier un puissant et complexe système de levées sablo – limoneuses, les anastomoses et les multiples divagations compliquent ce réseau mais c’est la partie axiale, celle du lit majeur qui sera la plus exhaussée, ainsi le bombement transversal est amplifié et l’Ill, rejette dans la dépression marginale, se trouve définitivement séparé du Rhin.
    Le Rhin et l’Ill tendent à édifier de nouveaux systèmes de levées et de dépressions marginales ayant chacun ses caractéristiques. Aussi le grand Ried actuel comprend 3 subdivisions longitudinales principales : à l’Est le Ried rhénan avec la forêt du Rhin et la dépression du Ried rhénan au sens strict parcourue par des rivières phréatiques, au centre les levées cultivées, à l’Ouest le Ried de l’Ill large et marécageux.

Notons qu’à l’Ouest de l’Ill il existe un autre Ried, bien particulier : le Bruch de l’Andlau ; adossé en amont au cône du Giessen, barré en aval par le cône de la Bruche. C’est une unité morphologique cohérente à soubassement de cailloutis allo-rhénans. Ce Bruch est influencé au Sud par des épandages siliceux vosgiens, au Nord par des épandages lœssiques ou marneux venant du Gloeckelsberg, il est alimenté par des eaux phréatiques dont la composition chimique traduit la proximité des Vosges. La présence de ce Ried s’explique par le fait que l’Ehn et l’Andlau, les deux petites rivières du Bruch avaient une activité érosive capable d’évacuer au fur et à mesure les sédiments fluviaux et éoliens de la marge de la levée rhénane.

La nappe phréatique et les sols :

La nappe phréatique :

Le milieu naturel du Ried est entièrement conditionné par une donnée écologique majeure : la présence d’une nappe phréatique abondante et courante à faible profondeur dans le sol. Cette nappe est localement subaffleurante et périodiquement inondante. La nappe phréatique alsacienne est contenue dans l’immense réservoir formé par les graviers rhénans. Elle est alimentée par les pertes des rivières vosgiennes dans leurs cônes, par les rivières du Sundgau et préjurassiennes par le biais des pertes de l’Ill en amont de Colmar, accessoirement et sur une bande riveraine de quelques kilomètres par les crues du Rhin qui s’injectent dans les graviers.

Le niveau de la nappe ainsi que sa direction d’écoulement sont réglés par les rivières qui la drainent. L’eau phréatique dévalant les Vosges aborde la plaine de l’Ill par un front d’écoulement assez raide et oblique (direction d’écoulement WSW – ENE). Dans le Ried le niveau de base est réglé par l’Ill à l’Ouest, le Rhin à l’Est et l’écoulement est à peu près Sud Nord avec toujours une composante vers l’Est. La vitesse d’écoulement de la nappe varie beaucoup, elle oscille entre 5 mètres par jours et quelques centimètres par jour. Petit à petit elle se charge de minéraux dissous (chlorures, sulfates et surtout bicarbonate de calcium.) La température de l’eau est de l’ordre de 11°C, elle reste très oxygénée. Cette eau peut réapparaître en surface et donner naissance à des rivières dont les eaux sont tièdes l’hivers et froides l’été (T = 11 à 14°C). Ces réapparitions de l’eau peuvent se faire par suintement superficiel ou bien au fond de cratères profonds de 2m et plus au fond desquels l’eau surgit, il s’agit en fait d’une forme mineure de fontaine vauclusienne : la nappe, localement captive et mise en charge par des bancs d’argiles ou de tufs calcaréo-ferrugineux arrive à forcer ces bancs dans une zone de moindre résistance et à jaillir en une véritable explosion artésienne : ce sont les fontaines ou Brunnwasser ou Donnerlöche.

Les oscillations de la nappe constituent un facteur écologique très important : près du Rhin, l’amplitude des oscillations était très grande se calquant sur les très fortes variations de niveau annuelles du fleuve, l’amplitude moyenne annuelle dépassait 2m dans la forêt rhénane et s’amortissait progressivement en s’éloignant du fleuve. Il en résultait une action de pompe aspirante et foulante faisant respirer le sol, ceci explique l’absence d’horizons profonds compacts et asphyxiants de type « gley », de sols noirs tourbeux dans la région rhénane. Le Ried rhénan aura un régime de hautes eaux d’été et de basses eaux l’hiver.

Dans le Ried de l’Ill les oscillations de la nappe sont en rapport direct avec le régime de l’Ill, qui du type rivière océanique d’alimentation vosgienne donc niveau le plus bas l’été, le plus haut à la fin de l’hiver.

Les sols :

La genèse et l’évolution des sols du Ried sont, elles aussi, entièrement sous la dépendance du niveau de la nappe : ce sont des sols hydromorphes influencés ou déterminés par la présence d’une nappe phréatique permanente. On distingue :

  1. Les sols du Ried noir :

Ils concernent surtout le Ried de la Blind et la partie amont du Ried de la Zembs. On les trouve au niveau des grandes cuvettes déprimées où la nappe est la plus proche de la surface du sol. Selon l’évolution deux cas peuvent se présenter : soit une accumulation tourbeuse, soit une formation « d’anmoor ».

Types schématisés de régimes d'oscillation de la nappe phréatique

a : niveau de la nappe

b: niveau de la frange capillaire

La tourbe alcaline calcique :

Si on sonde certains secteurs du Ried noir, on ramène une masse noire spongieuse sur une profondeur allant jusqu’à 1m. Cette tourbe repose sur un substrat généralement argileux et grisâtre d’épaisseur faible recouvrant les cailloutis et sables calcaires rhénans. Cette tourbe est alcaline (pH 7,5 – 8) et calcaire, elle est fortement minéralisée (squelette minéral = 25 à 50% du poids sec). Par suite de la divagation des cours d’eau certains chenaux ou parties de chenaux sont soustraits aux inondations et sont transformés en eaux mortes ou marécages : dans le second cas ce sont des aulnes qui colonisent et le cycle d’accumulation tourbeuse s’amorce d’emblée.

Dans le deuxième cas, il y a dépôt de vases infra-aquatiques grises de type « Gyttjia », le comblement du chenal sera achevé par des carex, des roseaux puis par des aulnes et le processus rejoint le cas précédent.

L’accumulation de cette tourbe ne peut être due qu’à une remontée lente et continue de la nappe phréatique vraisemblablement due à l’exhaussement lent et naturel des cours d’eau par le jeu de l’édification de levées de rives. Ces régions tourbeuses sont rares.

L’anmoor :

C’est le type le plus fréquent dans le Ried noir, une coupe dans le sol montre une épaisseur plus faible de la couche noire (20 à 40cm). L’anmoor est un horizon pédologique dont la genèse s’explique par une cause analogue à celle de la genèse des tourbes : inhibition de la minéralisation de la matière organique par l’excès d’eau impliquant une anaérobiose. Mais ici il y a des phases de dessiccation intense donc phases aérobies et la transformation de l’humus y est bien plus poussée. (l’anmoor titre que 20 à 30% de matières organiques.)

L’anmoor partage avec la tourbe alcaline une très grande porosité et partant une grande capacité de rétention d’eau. Les deux types de sols sont également très déficitaires en fertilisants (taux de nitrates très faible par suite des phases anaérobies, les phosphates sont bloqués sous forme tricalcique.)

Le glei :

C’est le sous-sol du Ried noir sous l’anmoor, il apparaît donc à 30 ou 40 cm et peut atteindre une grande épaisseur (1m et plus). Il est essentiellement formé d’argiles gonflantes (plus de 50%) ennoyées en permanence par la nappe et contenant du fer ferreux d'où sa couleur verte. Le mécanisme de formation de ces dépôts argileux épais est analogue à celui qui a causé la genèse des tourbes calciques : remonté lente du niveau de la nappe dans les zones marginales d’inondation à décantations argileuses. Ceci est dû à la surélévation progressive du lit des cours d’eau.

  1. Les sols du Ried gris :

Ce sont des sols toujours très humides, à nappe proche de la surface, mais périodiquement soumis à des alternances de décapage ou d’alluvionnement lors des inondations. Tel est le cas des régions riveraines de l’Ill et de ses bras mais aussi des rivières phréatiques fonctionnant lors des grandes crues comme bras de décharge de l’Ill. Ces sols sont des sols à hydromull : la matière organique y est diluée dans la fraction minérale. Cette matière organique est en outre périodiquement enrichie d’apports nouveaux : gyttja et fertilisants qui stimulent l’activité biologique. De plus l’alternance dessiccation – ennoyage favorise l’évolution de l’humus. Si les sols du Ried noir sont pauvres (oligotrophes) ceux du Ried gris sont riches (eutrophes). Les prairies de l’Ill ont un des plus forts rendements fourragers d’Europe sans fumure ou presque.

  1. Les sols su Ried brun :

Ce sont ceux des levées – terrasses. En profondeurs l’horizon de glei se retrouve dans le Sud du Ried la partie supérieure de ce glei, périodiquement asséchée est parsemée de taches de rouille et d’efflorescences calcaires, dans la partie septentrionale et orientale les levées reposent directement sur les graviers rhénans ennoyés par la nappe. L’évolution du sol dépend de l’ancienneté des levées. La frange d’eau capillaire alimentée par la nappe n’atteint jamais ou très rarement la surface ; l’évolution de l’humus dépend uniquement de facteurs climatiques. Les teneurs en matières organiques sont faibles (<à 8%).

L’évolution pédologique est comparable à celle du lœss c’est à dire qu’il y a décalcification superficielle cependant les levées étant plus jeunes cette décalcification est encore faible et les sols y sont encore calcimorphes, ce sont des « pararendzines ». En forêt, le stock de matières organiques des parties superficielles du sol reste plus élevé et forme un Mull forestier.

Les principaux groupements végétaux :

D’une façon schématique nous pouvons distinguer deux types de végétation : la forêt et la prairie ; En réalité à l’état naturel les Rieds seraient entièrement forestiers à l’exception des bas-fonds les plus humides du Ried noir, qui seraient occupés par des marais à carex. Tous les groupements prairiaux résultent du défrichement, souvent très ancien, et ces prairies ne subsistent que si elles sont régulièrement fauchées, au moins une fois l’an et tardivement, sinon peu à peu la forêt reprend le dessus.

Le Ried gris :

  1. La végétation naturelle forestière :
    Dans les endroits les plus fréquemment inondés on a une frênaie à aulnes et cerisiers. On y trouve le frêne (Fraxinus) qui est souvent l’espèce dominante et dans le sous-bois Prunus padus, petit arbre (< 15m) au port penché en arc de cercle et au tronc noir. On y rencontre aussi Alnus glutinosa, trois variétés d’Orme (Ulmus effusa, U. scabra, U. campestris) parfois Quercus pedonculata, Acer pseudoplatanus, Carpinus. La strate herbacée comporte la ficaire (Ficaria ranunculoïdes), Cardamine pratensis, Stachys silvatica, Spiraea ulmaria etc…
    Sur les levées rarement ou jamais inondées on trouve une chênaie charmaie à ormes, merisiers et tilleuls à petites feuilles ; on rencontre alors Quercus robur, Fraxinus excelsior, Carpinus, Ulmus campestris, Tilia cordata, Crataegus oxyacantha, Corylus avellana… Au sol, la strate herbacée comporte Scilla bifolia, Allium ursinum, Arum maculatum, Anemone ranunculoïdes

  2. Prairies de substitution :
    Dans les endroits inondés on a des prairies humides à laiches (carex), avec des fétuques, le chardon inerme, beaucoup de colchiques (Colchicum autumnale), Sanguisorba officinalis
    Dans les endroits non inondés arrhénathérales mésophiles, peu fleuries à subthermophiles à Primula veris, Dianthus carthusianorum et Salvia pratensis

Le Ried noir :

  1. La végétation naturelle :
    Dans les marécages de petits carex avec Gladiolus palustris, Iris sibirica et Schoenus nigricans. Ailleurs aulnaie (seuls les aulnes sont des arbres européens capables de résister à des conditions d’asphyxie racinaires que l’on rencontre dans le Ried noir au sol gorgé d’eaux stagnantes désoxygénées aussi on ne trouve typiquement qu’une seule espèce arborescente). Dans le sous-bois on trouve Ribes nigrum, Ribes rubrum, Rhamnus frangula. Strate herbacée : Solanum dulcamara, Iris pseudoacorus (bord des fossés)…

  2. Prairies de substitution :
    Dans les zones les plus humides on trouve Mentha aquatica, Gratiola officinalis, Lathyrus palustris, Iris sibirica. Ailleurs formes très diverses du Molinietum medio-europaeum à divers petits carex, Allium angulosum, Allium suaveolens, Gentiana pneumonanthe, Gentiana germanica… Sur les endroits secs, en particulier sur les tumuli Orchis morio, Peucedanum officinale, Gentiana germanica… Ces groupements sont actuellement en forte régression.

Ried blanc rhénan :

  1. La végétation primitive :
    Types forestiers allant d’un Pruno-Fraxinetum enrichi en Alnus incana et saules à un groupement de transition entre le Fraxino-Ulmetum et un Ulmo-Carpinietum, c’est à dire entre la Frênaie-Ormaie et l’Ormaie-Charmaie. Sur les parties plus élevées le tilleul cordé et chêne rouvre (Quercus robur). On y trouve Convallaria majalis, Carex alba, Viola hirta, Melica nutans… sous bois riche en buissons notamment Viburnum lantana.

  1. Prairies de substitution :

    Elles sont variées ; dans les zones les plus humides on a Carex disticha, Pedicularis palustris, Parnassia palustris, Euphorbia palustris
    Ailleurs Molinetum avec Epipactis palustris, Allium angulosum, Valeriana dioica, Gentiana pneumantha, Salmolus valesandi… Enfin Mesobrometum alluvial avec Ophrys aranifera, Ophrys fuciflora, Orchis ustulata, Anacamptis pyramidalis, Euphorbia verrucosa

Ried brun :

  1. La végétation naturelle :
    Diverses formes d’une chênaie-charmaie thermophile et mésophile mais on a que des surfaces résiduelles.

  2. Prairies de substitution :
    Arrhénatérales à Salvia, Tragopogon orientalis, Onobrychis sativa…

D’une façon générale le Ried constitue un milieu des plus fragile innombrables sont les Rieds qui, à travers l’Europe ont été détruits par des opérations de drainage.
Gardons, coûte que coûte, par delà les calculs économiques quelques parcelles de ces paradis de la plaine d’Alsace.
Nous étudierons le Ried dans ces divers aspects :
- Près de Meistratzheim : le Bruch ou Ried d’Andlau.
- Autour d’Herbsheim : le Ried de l’Ill.
- Près de Daubensand : le Ried et la Forêt du Rhin.